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Montanyes Regalades
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Montanyes Regalades

Les deux premiers vers de la chanson populaire Montanyes Regalades : « Montanyes Regalades / Son las del Canigo » [sic] sont gravés dans le marbre, en haut du fronton de l’oeuvre éponyme du sculpteur Raymond Sudre. Ce constat nous donne l’occasion de réfléchir sur l’origine et la signification de ce chant, un air connu de tous les Catalans qui a traversé les siècles et dont les paroles ont subi de constantes modifications, prouvant ainsi la vitalité d’une tradition orale exprimée par le chant.

Manuel Milà i Fontanals (1818, Vilafranca del Penedès - 1884, Vilafranca del Penedès), linguiste, critique littéraire et historien de la littérature catalane médiévale, publia en 1853 : « Romancerillo catalan : canciones tradicionales ». Cet ouvrage, somme de travail remarquable sur la chanson traditionnelle catalane, était un recueil inédit qui apportait une vision critique sur les différentes versions des chansons populaires qui avaient traversé les siècles grâce à la tradition orale. Ce travail de compilation, avec notes critiques, fit date.
Dans la nouvelle version augmentée, publiée en 1882(1), Milà i Fontanals nous livre deux chansons populaires issues de la tradition pyrénéenne et du particularisme lié au mode de vie montagnard. Il s’agit de : « El Canigó »(2) dont les deux premiers vers sont les suivants :
« Montanyas regaladas / son las del Canigó
Que tot l’istíu floreixen / primavera y tardó »

La deuxième chanson populaire citée par ce même auteur est : « Montañas del Canigó »(3) dont nous reproduisons les deux premiers vers :
«  Montanyas del Canigó / son frescas y regaladas,
Mes á mes n’aquet temps / que les ayguas son geladas »

On peut raisonnablement penser que l’artiste Raymond Sudre, et le groupe des intellectuels qui animaient les cercles littéraires catalans de l’époque (Pierre Vidal, Jean Amade, Horace Chauvet, Louis Pastre, Jules Delpont, Vergès de Ricaudy...) avaient eu connaissance de l’ouvrage de Milà i Fontanals, au moins dans sa deuxième version révisée et augmentée qui se trouvait à la Bibliothèque de la Ville de Perpignan. Graver l’amorce du texte poétique dans la pierre du monument de Sudre traduisait la volonté de rester au coeur des traditions populaires catalanes.

Si la première version écrite de Montanyes Regalades fut publiée dans les années 1840, le Journal commercial, maritime, artistique, littéraire, illustré des Pyrénées-Orientales(4) publiait en 1896 le refrain et les deux premiers couplets de cet hymne populaire plus que jamais présent dans la vie de tous les Roussillonnais. L’historien Henry (Dominique-Marie-Joseph) y ajoutait le commentaire suivant : « La musique de Montanyas Regaladas, véritable ranz roussillonnais que l’homme de cette province, éloigné de sa patrie, ne saurait entendre sans la plus vive émotion, se distingue par une suavité, une sorte d’ingénuité qui la mettent fort au-dessus de tous les autres airs nationaux. »
Bien des années plus tard, en 1927, la Revue Historique et Littéraire du Diocèse de Perpignan(5) consacrait une série de deux articles aux chants populaires catalans, sous le titre : « Nos deux cantilènes : Montanyas Regaladas et lo Pardal ». Nous restituons ici les commentaires qui reflètent bien l’état d’esprit du clergé de l’époque :
«...Nos deux chants à nous sont Montanyas Regaladas et lo Pardal que, jusqu’en 1840, nos pères se transmirent oralement de génération en génération.
Montanyas Regaladas ! Qui ne connaît ce ranz roussillonnais, ce tendre et mélancolique chant d’adieu aux montagnes de la patrie, ce splendide dithyrambe à l’idiome catalan appris sur les genoux d’une mère, cet air où vibre l’âme de la petite patrie, que les Croisés firent les premiers entendre à leur départ pour la Terre Sainte ! ... C’est en vain que nous chercherions dans ces chants la forme et la façon littéraires : nos pères se contentaient de ces assonances dont la grâce singulière plaît aux esprits primitifs. 
»
Effectivement, l’origine de ce texte primitif se perd dans la nuit des temps, mais une version aujourd’hui bien identifiée fut composée lors de la célébration du mariage de l’Infant Jaume avec la comtesse Esclarmunda à Perpignan en 1275, comme l'affirme le directeur de la Revue Historique et Littéraire du Diocèse de Perpignan en 1924. Ce texte commence par les vers suivants :
« Montanyas de Canigó / son frescas y regaladas
Al demès ara al estiu / que las ayguas son geladas.
 »

Le grand écrivain roussillonnais Josep Sebastià Pons, Docteur ès Lettres auteur d’une thèse sur : « La Littérature catalane en Roussillon aux XVIIe et XVIIIe s. »(6) livre une analyse érudite de ce chant immémorial. En pédagogue, il replace le chant dans son contexte festif pour mieux analyser ses caractéristiques : « Il arrive, au cours des danses roussillonnaises, que l’instrument dominateur, le tenor ou tenora, arrête le mouvement sur un point d’orgue. Les couples font une promenade circulaire, et chaque jeune fille, en passant sous l’échafaudage des musiciens, reçoit un bouquet. Cependant la cobla joue un air grave, l’air de Muntanyes Regalades. Cet instant revêtait autrefois une véritable solennité. Les traits des jeunes filles s’immobilisaient à tel point qu’elles devenaient hiératiques... L’hymne du Roussillon veut la danse autour de lui, et au demeurant chacun l’interprète à sa manière. L’hymne, c’est beaucoup dire sans doute. Il est si solennel et compassé que je lui ai attribué une origine ecclésiastique. Il convient à la musique d’orgue et à ses variations et en aucune manière à la musique vocale. Dans son ampleur, il se sépare nettement des paroles et sans doute a-t-il contribué à les faire oublier »(7)
Dans son analyse sémiotique du texte de Montanyes Regalades, Pons souligne que certaines versions sont le résultat de la fusion de deux textes en un seul. Certaines versions correspondent à la mode d’une époque (amourettes romantiques sous les ombrages d’une fontaine) ou encore sont le fruit de l’imagination débridée de certains intellectuels roussillonais. Ainsi, Pierre Puiggari(8), antiquaire féru d’archéologie, est à l’origine d’un canular qui fut relayé par la presse de l’époque, et plus tard par certains éditeurs de cartes postales. En effet, en 1840, Puiggari prétendait avoir trouvé dans les ruines de « Sant Martí del Canigó » le texte primitif de Muntanyes Regalades. Voici la version qu’il proposait :
«  Montanyes regalades / son les del Canigó
Coronades de plata / i vestides de flors.
Adeu, adeu muntanyes ! / Hermosa Alienor ! 
»
Une carte postale éditée chez Maurice Barré & Jules Dayez(9) proposait ce refrain (partition musicale et paroles) qui illustrait une représentation de deux Catalans en costume traditionnel sur fond de Canigou.
En 1956, Josep Sebastià Pons affirmait que ce chant traditionnel appartenait déjà au passé et qu’il restait l’apanage des bergers dans la solitude des estives.

Au XXIe s., des chanteurs talentueux (Lluís Llach, Jordi Barre, Joan Pau Giné, Cali...) ont écrit des textes poétiques qui sont devenus les nouveaux hymnes des temps modernes. Si au stade Aimé Giral des milliers de supporters de l’USAP soutiennent leur club en entonnant L’Estaca ou Els hi fotrem, il est intéressant de noter que de nombreuses penyes usapistes proposent, sur leur page web, les paroles et la version chantée de Muntanyes Regalades, au même titre que les derniers titres des groupes et chanteurs locaux.

 

(1) Milà i Fontanals, Manuel. Romancerillo catalan : canciones tradicionales. 2e. ed. ref. y aum. Barcelona : La Renaixensa, 1882.
(2) Ibidem. Ref : 303, p. 287.
(3) Ibidem. Ref : 341, p. 325.
(4) 1, 1896.
(5) 1927, pp. 37-40.
(6) Toulouse : E. Privat ; Paris, H. Didier, 1929.
(7) Hommage à J.-S. Pons. Tramontane,  385-386, janv.- févr. 1956.
(8) (Illa, 1886 - Illa, 1962).
(9) La Maison Maurice Barré & Jules Dayez, fondée en 1925 à Paris, était spécialiste de travaux d’impression en couleur. Elle a édité, entre autres, des catalogues de cartes postales régionales.

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