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Le jardin extraordinaire des Perpignanais livre ses secrets

Pouvoir disposer, au coeur même de la ville, d’un espace vert arboré qui soit aussi un havre de paix propice à la flânerie a toujours fait partie du rêve citadin. Les édiles perpignanais l’avaient bien compris quand ils décidèrent, lors du conseil municipal du 14 mai 1809, de créer la Promenade sur un ancien lit de la Bassa : « La seule promenade qui existe à Perpignan est celle de la place Napoléon, le terrain du glacis nouvellement affermé pour neuf ans par M. Le Maire en vertu de l’autorisation de S. E. Le Ministre de la guerre, et qu’il destine pour une promenade publique, étant très propre pour cet objet ; il y a lieu à allouer la somme de quinze cents francs demandée pour frais d’établissement de cette promenade, à laquelle se porte la dépense à faire d’après le devis dressé par M. Amiel, architecte de la ville... ». Ainsi était signé l’acte de naissance de la Promenade ou Passejada.
En juin 1811, l’affermage des fossés et des glacis est décidé en conseil municipal : une somme supplémentaire de 1 200 F est votée pour l’entretien de ce nouvel espace vert qui est assuré par un jardinier municipal et trois gardes champêtres affectés à la surveillance des jeunes plants du périmètre de la Promenade.
L’entretien de cet immense jardin ne pouvait plus dès lors être confié à un seul jardinier : en décembre 1814, à la demande du Préfet, il est remplacé par un pépiniériste de Montpellier dont la mission englobe également l’entretien de la pépinière départementale et du jardin botanique.
Les sentiers de la Promenade sont de plus en plus fréquentés par les familles, les ouvriers à la sortie du travail, les nourrices promenant la progéniture des grandes familles bourgeoises de la ville. À partir de 1850, la signalisation des chemins, avec mention des distances sur poteaux indicateurs, est mise en place par la municipalité de l’époque.
Nouvelle étape en 1880 : l’architecte de la ville fait installer quatre passerelles en fer sur le ruisseau qui entoure la Promenade des Platanes. Ces aménagements correspondent à l’engouement pour les jardins d’hiver qui atteindra son apogée pendant la Belle Époque (1900 - 1914) ; le parc du Casino de Vernet-les-Bains en est un bel exemple.
Pendant l’hiver 1883, des chantiers importants vont modifier l’accès aux jardins de la Promenade. La motion Marc du 28 février 1883 faisait les propositions suivantes : « On pourrait également planter quelques arbres à partir du kiosque jusqu’au fond de la promenade et en contournant qui seraient en quelque sorte la continuation de l’allée des  marronniers. Nous voudrions atténuer dans la mesure du possible cet acte de vandalisme qui remonte à quelques années qui consiste à enlever une rangée de platanes qui formaient une magnifique allée en plus pour nous donner comme compensation une large bande de terrain d’une pente irrégulière qu’on devrait fortement remblayer pour couvrir les racines de certains arbres qui sont complètement dénudées et la rendre plus uniforme... À propos d’arbres, pourquoi tant espacer cette rangée de platanes tout récemment à proximité du fossé ; n’aurait-il pas mieux valu suivre la même disposition des autre allées, le coup d’oeil n’aurait pas souffert de cette irrégularité à laquelle on peut du reste remédier ».
La gestion d’un espace vert d’une telle superficie (118 840m²) ne manqua pas de poser des problèmes de logistique et de personnel, et il fallut attendre septembre 1891 pour que des ouvriers journaliers soient affectés toute la semaine à l’entretien du square des Platanes et de la Pépinière.
Le choix de certaines essences n’était pas toujours judicieux et dénotait une mauvaise connaissance des sols. Ainsi, devant les problèmes d’acclimatation de l’allée des marronniers, les arbres malades furent peu à peu remplacés par une ligne de platanes qui faisaient face aux platanes déjà plantés de l’autre côté du boulevard, en vue de délimiter cette nouvelle artère et les futurs immeubles qui devaient la border. Seuls quelques spécimens de marronniers ont su s’adapter et traverser le siècle sans développer de maladie cryptogamique.
Habiter en bordure de la Promenade ne présentait pas que des agréments : en février 1935, les riverains du boulevard Jean Bourrat se plaignent de la ligne d’ombre et de l’humidité créées par l’alignement des grands platanes qui bordent le boulevard. Une pétition conduite par l’association des Propriétaires et Locataires du Quartier du Square est adressée au maire de Perpignan : « Les propriétaires et habitants du boulevard Jean Bourrat, dans la partie qui s’étend de l’angle de la rue Ramon Lull [sic] après le platanium, jusqu’au numéro 22, après l’angle de la rue Molière ont adressé à M. Le Maire une pétition demandant l’abattage des 21 platanes qui se trouvent sur le trottoir en bordure de leurs immeubles. Ils font valoir que l’ombre qui est projetée par la frondaison du square et par la ligne des platanes qui se trouvent en face, de l’autre côté du boulevard, est très épaisse, et que leurs maisons exposées au nord ne reçoivent pas le soleil et sont exposées à l’humidité... » Le rapporteur du conseil municipal propose de remplacer les 21 platanes par des lauriers roses, pour rester dans la même note fleurie que ceux qui ornent déjà la partie haute du boulevard.
Si le sous-sol convient au développement des platanes, il ne favorise pas la croissance des marronniers de la contre-allée des Platanes qui doivent être remplacés à l’automne 1937. Sur proposition de la Commission des Travaux Publics, la ville propose de planter des palmiers et des mimosas. Les variétés d’arbres que nous pouvons admirer aujourd’hui ont été le fruit d’une longue série d’expérimentations menées par le pépiniériste et les jardiniers municipaux.
En 1944, pour des raisons de sécurité publique, la municipalité décide de procéder à l’étêtage, à hauteur de dix mètres, de 55 platanes situés au fond de la Promenade, du côté de l’entrée du square, au niveau du Monument aux Morts de 1870-1871. Sur les photos du meeting du PCF aux Platanes en 1946, on voit nettement les blessures infligées par cette coupe sévère qui mutila les arbres et ralentit la repousse des branches maîtresses, les faisant ressembler à des « moignons tendus vers le ciel ». Cette opération était confiée à un négociant en bois qui s’engageait à restituer à la ville les dix tonnes de bois de chauffage ainsi récolté.
En 1951, une autre étape est franchie : une nouvelle serre tempérée est construite pour répondre aux nouveaux besoins du service qui gérait cet immense espace vert.
En janvier 1954, la Commission de protection des sites et monuments des Pyrénées-Orientales, alertée par M. Gaspard, conseiller municipal, demanda à l’administration des Eaux-et-Forêts une expertise phytosanitaire et un diagnostic de vitalité et de dangerosité. Le diagnostic est accablant : « Les platanes de la promenade ayant dépassé l’âge de 140 ans sont en plein dépérissement ; un grand nombre ayant déjà disparu, le solde portant sur 160 arbres, doit être abattu sans retard si on ne veut pas courir le risque d’accidents graves. »(1)
L’hiver 1954 fut l’un des plus rigoureux du XXe s. Début janvier, une première vague de froid s’abattit sur le nord et le nord-est du pays. Les 5 et 6 février, une tempête de neige paralysa le Languedoc-Roussillon : en deux jours, la ville de Perpignan fut ensevelie sous la neige (1 m) et les rues du centre ville furent dégagées par le chasse-neige. Les nombreux dégâts occasionnés par ces fortes chutes de neige obligèrent la municipalité, en juillet 1954, «... à procéder à l’abattage de la totalité des platanes de la Promenade, en raison de leur état précaire. »(2) Des travaux immédiats de remblayage de la Promenade sont alors rendus nécessaires pour la mettre au même niveau que les trottoirs attenants du cours Palmarole et du boulevard Wilson. Pour les travaux de remblai, on va chercher la terre sur la route de Cabestany, sur les chantiers des nouveaux lotissements en construction.
L’abattage massif des platanes ne laissa pas la presse locale indifférente. La revue Reflets du Roussillon(3) consacra un article à cet événement qui allait bouleverser les habitudes des Perpignanais. Nous vous proposons l’extrait le plus significatif de cette article qui alerta l’opinion publique et suscita de nombreuses réactions chez les intellectuels de l’époque : Pauvres Platanes ! « Il n’en reste plus que des images dans notre esprit, des vues sur carte postale et, sur place, quelques lambeaux errants, des chicots affreux, témoins de leur ruine physiologique.  Une triste fin en soi que cette fin en scie, cela malgré les honneurs qui leur ont été rendus, puisque pour les abattre il fallut faire appel à des engins lourds et motorisés... Des bancs vous séparaient. Témoignant d’un fidèle esprit de corps, ils ont disparu avec vous, ainsi que votre voisine, cette plantation disparate, chétive et mutilée qui végétait avec la seule insistance de faire regretter les beaux marronniers abattus... Certes, l’aménagement de la Promenade pose un délicat problème, difficile à résoudre par la complexité des questions qu’il soulève et des inconnues qu’il enferme... Mais de grâce, M. le Maire et MM. Les Conseillers municipaux, n’épargnez rien de votre élévation d’esprit, de vos qualités, de vos sentiments, pour adopter le plus rapidement possible, parmi les 6 ou 7 projets à l’étude, celui d’entre eux qui s’inspirera le plus de bon sens, de bon goût, des conditions climatiques et atmosphériques qui commandent ! »
Des photos spectaculaires d’André Vick et d'Auguste Chauvin illustraient cet article.
Il faudra attendre février 1961 pour que l’équipement électrique de la promenade soit réalisé : 62 colonnes lumineuses montées sur candélabres sont installées.


(1) 1D1/48 DM du 28-01-1954 Archives municipales, ville de Perpignan
(2) 1D1/48 DM du 12-07-1954 Archives municipales, ville de Perpignan
(3) Catala, François. Pauvres platanes. Reflets du Roussillon, 5, sept. 1954.

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